lundi 25 mars 2013


Jeu n° 7 - S'imaginer une après-midi de libre à rêvasser sous un arbre, sur une chaise longue au bord de la piscine ... Définir le cadre et raconter ses songes

Texte de Nell Gallo


Dimanche 24 mars 2013


Essoufflé, Guillaume se laissa tomber dans l'herbe. Il devinait les autres courant se disperser, pressés de trouver le premier la meilleure cachette, qui derrière un gros tronc, qui derrière un buisson, qui derrière un pan de mur écroulé. Il était parti le premier comme une flèche, broyant toute la pente dans ses mollets et, maintenant rendu de l'autre côté du sommet de la colline, se savait hors de vue.

Le changement brutal de position fit tournoyer le ciel au-dessus de lui. Son coeur tambourinait après l'effort. Affalé de tout son long, les bras en croix, il ferma les yeux le temps de reprendre son souffle et en quelques secondes, put se croire seul au monde. C'est ce qu'il préférait dans ce jeu de cache-cache : se laisser oublier, oublier lui-même le jeu pour rêver devant l'immensité, pourtant tout proche de la sécurité du groupe.

Le souffle apaisé, il rouvrit les yeux, les laissa errer au-dessus de lui. Un gros chêne majestueux trônait au sommet de la colline. L'extrémité d'une de ses grosses branches basses balançait doucement son feuillage au-dessus de sa tête. Regarder les feuilles à l'envers, c'était exactement ça : perdre le sens du relief sur leur vert pâle. Elles jouaient avec les rayons du soleil, et il rentrait dans leur jeu en clignant des yeux par instants.

Plus aucun cri d'enfant, maintenant, plus aucun bruit, sinon le froissement du feuillage au gré du vent, le ciel en immense coupole bleue au-dessus de lui. Pas tout à fait bleue : des nuages moussaient paresseusement, apparemment immobiles, mais il suffisait de détourner le regard quelques secondes et l'instant d'après, ils avaient déjà changé de forme. Juste à la verticale, la Chantilly poussait devant elle l'encolure d'un cheval, qui s'allongeait bientôt en une trompe d'éléphant, puis se dissolvait en quelques houppettes de coton s'étirant vers la gauche, malaxées dans les hauteurs par un vent imperceptible d'en bas. Mais voilà que très haut sur sa droite, un gros nounours semblait étonné de n'avoir qu'une oreille, d'ailleurs déjà avalée par quelque autre peluche du voisinage.

Oh, un hippogriffe ! Enfin, la moitié d'un, l'autre se perd dans les rondeurs blanches, de plus en plus grises vers le centre. Mais Guillaume ne voit pas les signes avant-coureurs de la pluie car il a déjà une jambe bien calée derrière l'aile de l'oiseau, les bras agrippés à l'encolure informe, les yeux fermés. Oui, il se voit d'en bas les yeux fermés tout là-haut, chevauchant dans la nuée, preux chevalier parti à l'aventure sauver la princesse, prisonnière très loin d'un maléfice. Plus tard, il sera explorateur, il découvrira un animal magique dont tout le monde croit qu'il n'existe que dans les contes. Il le domptera et il lui apprendra à l'emmener dans les endroits secrets inaccessibles connus de lui seul, et il sera le premier à ramener de nouvelles espèces de fleurs, d'arbres et d'animaux. Tiens, un grand ver tout mou pas beau à sept pattes, quatre d'un côté et trois de l'autre, avec un seul tentacule à gauche de la tête pour attraper ses proies. Et puis un oiseau au plumage coloré, au regard intelligent et langoureux, une sorte de phénix mais au chant grinçant comme celui d'un butor. Et sa femelle serait toute terne mais avec un chant très mélodieux. Et le Museum d'Histoire Naturelle le récompenserait d'avoir compris que c'est la même espèce. Et pour que la princesse se réveille du maléfice, il faut que la poule mélodieuse lui apporte une plume du mâle enroué. Et…

- Guillaume ! Guiiiillauauaume !

L'hippogriffe se dissout et Guillaume tombe dans un trou, comme aspiré à travers les nuages tout mouillés. Mais c'est frissonnant dans sa chemise humide qu'il reprend brusquement conscience de la terre solide dans son dos, des feuilles vert pâle froissant au-dessus de lui un message compris d'elles seules.
Les copains le cherchent. Il entend des exclamations essoufflées, voit surgir une tignasse, puis deux, juchées sur deux paires de jambes qui escaladent la colline sur ses traces, le trouvent enfin.

- Eh, Guillaume, on t'a cherché partout ! Tu viens ? On rentre , il pleut.

Ah oui, c'est vrai. Sans répondre, la tête encore tourneboulée, Guillaume se lève comme à contrecoeur, puis histoire de donner le change :

- Le premier en bas !

Et tous trois dévalent la colline pour rejoindre le groupe. L'un d'eux a voyagé plus loin...

mardi 5 février 2013


Jeu d'écriture n° 6 - Incipit - Nell Gallo

LE CAMION AVANCE 


Le camion avance maintenant à belle allure. Erwé vient de prendre son tour de volant pour que je dorme un peu. Ma tête dodeline contre l'absence d'appui-tête, je ferme les yeux. Ils me tirent, à force d'avoir fixé le regard au-delà du pare-brise sale pour nous frayer un chemin.
Maintenant, la piste de terre desséchée, malgré ses ornières et nids-de-poule, fait l'effet d'une autoroute après les deux heures à travers sous-bois et fondrières. Nos reins moulus s'en souviendront longtemps. L'horizon est dégagé car on aborde la grande plaine qui descend en pente à peine perceptible jusqu'aux rives du Grand Fleuve.
Le Grand Fleuve ! Le premier depuis des centaines de kilomètres, pendant lesquels nous avons dû nous contenter de mares d'eau boueuse ou de puits presque à sec. Et pourtant, ce n'est pas pour les gerbes d'eau qu'il nous tarde d'y arriver, ni même pour nous griser de l'animation du caravansérail installé sur ses bords, d'où les crocodiles sont tenus à distance par l'activité humaine. A aucun moment, l'immensité n'a rendu pesante notre solitude à trois, tant la nature était dense autour de nous, et âpre aussi : il nous fallait attendre l'heure morte au seuil de la nuit, les quelques minutes où nos corps fatigués savouraient le duvet moelleux avant d'être happés tout crus par le sommeil, pour que le silence nocturne frémissant de vie n'émerveille nos sens et nos esprits.
Non, si l'impatience nous poigne pendant ces derniers kilomètres, c'est parce que nous touchons presque au but de toute cette longue expédition, préparée pendant des mois : vérifier que le Grand Fleuve est bien tel qu'en notre imagination, nourrie étape après étape des contes psalmodiés par Agoko à la veillée, des récits de voyage lus et relus ; et puis le consulter, tel un oracle, sur son propre avenir et celui de la vaste contrée qu'il irrigue.

Encore quelques heures et nous y serons. Sauf imprévu tout à fait improbable, maintenant que le plus dur est passé, nous dresserons avant la nuit notre campement avec vue.

Par chance, aucune avarie, aucune perte à déplorer dans notre matériel soigneusement sélectionné, étalonné et emballé, puis couvé tout au long du voyage. Avant d'installer les instruments - le lendemain au plus tôt- il nous faudra sacrifier, mais avec quel bonheur ! aux palabres d'usage avec le chef local, serrer toutes les mains, demander les autorisations selon le protocole aussi ancien que coutumier; et plus tard, dans la soirée, nous enivrer quelque peu lors de l'interminable banquet improvisé en un tournemain en notre honneur par ces âmes généreuses ; et enfin, au moment du coucher tant attendu, repousser délicatement les avances de la concubine gracieuse et parée, preuve d'hospitalité de notre hôte, qui s'offusquerait d'un refus.

Demain, à l'aube, j'irai te saluer, Grand Fleuve, avant de sonder tes entrailles pour, je l'espère, sauver ta majesté.

Jeu d'écriture n° 5 - Ecrire à partir d'une photo - 

Texte de Nell Gallo


- Eh, l'ami !

- …

- Eh, ça va ?

- Chuuuutt, j'écoute !

- ??
Tu écoutes ?
Et tu écoutes quoi ? (légèrement ironique) Le galop des Indiens qui vont descendre de la montagne ?
(Et se met à fredonner "Elle descend de la montagne  à cheval…")

- Non, ballot, les menus bruits. Ecoute, écoute….

Le quidam se résigne à subir une leçon de choses, mais quelque chose lui murmure qu'il a à y gagner, et il se tient coi.

- Tu vois, la neige parle, elle me soupire ses menus tracas, les crispations de ses flocons, les changements d'état de ses cristaux, les bestioles qui la creusent à petit bruit pour retrouver l'air libre. Et ces gros souliers qui la martyrisent, elle si pure, si blanche. Elle a peur de mourir, vois-tu.
Je la rassure en lui parlant des flocons qui tombent, qui vont la rendre dodue, forte de tout ce froid, tout ce blanc, tous ces bruits qu'elle absorbe. Je lui dis qu'elle engourdit les gens d'un silence moelleux qui les impressionne ; qu'ils ne l'écrasent que parce qu'ils n'ont pas le choix, qu'ils préféreraient la contempler, derrière leurs vitres, jusqu'à l'arrivée du printemps.
- Tu n'as besoin de rien, alors ? Tu n'as pas froid ? Tu sais, ce n'est pas du duvet d'oie, qui tombe.
- Non, ne t'inquiète pas pour moi.
- Tu es sûr que tu ne voudrais pas la contempler de derrière tes vitres, la neige ? Tu l'écrases, là, tu sais.
- Mais non, elle résiste. Elle me connaît, ce n'est pas le premier hiver que je l'écoute. Sous moi, elle fige ses cristaux juste ce qu'il faut pour rester moelleuse et en échange, ma couverture blanche la protège de ma chaleur.
- (A part soi : l'est pas banal, le bienheureux…)
- Allez, merci de ta sollicitude mais va, maintenant. J'ai une nuit blanche qui m'attend.

Quidam s'éloigne en marmonnant que décidément, on aura tout vu, mais au fond heureux de ce cadeau de Noël inattendu.

jeudi 24 janvier 2013

Jeu d'écriture N° 5 : Écrire à partir d'une photo - Texte de Élise Vieira


C’était comme dans un rêve qui défie la réalité et le temps. Tu étais là, enveloppé de plumes comme un ange déchu en plein hivers. La neige ne te touchait pas, tu dormais à l’orée du bois. Tu ne sentais ni le vent ni le jour. Tu étais figé comme une empreinte. Pas un murmure, pas un soupir, ni même un léger mouvement.
La lumière réfléchie, aussi opaque qu’une surexposition, donne à ton visage un air apaisé.
Dans un décors de neige, aussi vierge et pur que nos âmes d’enfants, emmitouflé confortablement dans un cocon de soie blanc immaculé, silencieux, tu dissimulais vie et sentiments comme tes tatouages sous les manches de ta chemise.

Mon ange, où sont passées tes ailes ?
On pourrait confondre à s’y méprendre cette terre et le paradis si ton souffle minime presque imperceptible ne faisait écho à la neige gelée et froide qui recouvrait le sol.
Léger comme un flocon, tu t’es déposé là. Et las, tu sembles commencer ta nuit, enlacé dans le duvet blanc de l’innocence recouvrée.

Mon amour, réveilles-toi !
R.E.M irrigue ton oreille avec« Losing my religion ». La guitare électrique implore tes yeux de s’ouvrir. La musique crie mon envie de briser la distance.
J’essaye de garder un œil sur toi au cas où tu te réveilles. J’ai cru t’avoir entendu rire, j’ai cru t’avoir vu essayer mais c’était juste un rêve … Juste un rêve. 

Jeu d'écriture N°5 : Ecrire à partir d'une photo - Texte de Sophie Gourion


Crédit photo : Christophe Van Biesen

Cette nuit, je n’y serai pour personne.

Dans la maison vide, j’ai pris en douce une grosse couverture moelleuse, sur la pointe de pieds.

J’ai regardé une dernière fois d’un œil nostalgique mon lit double, ma place comme imprimée dans ce matelas. Sa paire de lunettes et son vieux bouquin corné posé de son côté à elle.

J’ai déposé dans un tiroir mes chaînes virtuelles : mon téléphone portable, mon ordinateur, mon lecteur MP3.

Cette nuit je dors dehors. Sans prévenir personne. Avec pour seul compagnon cette vieille couette blanche. Le corps dans la neige mais la tête ailleurs.

Le cœur en pilote automatique, je compte sur le froid pour réveiller mon âme endormie par trop de sollicitations.

Noyé dans cet océan de virtualité qui a envahi mon quotidien et m’a bouffé tout cru, j’ai le fol espoir de me reconnecter avec la réalité durant cette nuit à la belle étoile.

Respirer l’odeur boisée des pins.
Sentir la douce brûlure du froid me mordiller les oreilles.
Observer la vertigineuse voute stellaire et m’y noyer.
Toucher enfin du doigt qui je suis. Et me réveiller.

Je ne me reconnais plus dans cet automate en costume cravate à l’électroencéphalogramme plat qui pense que le bonheur se résume à l’absence de souffrance.

Cet homme des cavernes ultra-moderne qui mange lyophilisé et boit énergétique.

Qui acquiesce sans vraiment être d’accord et entend sans écouter.

Ce père, ce mari, ce fils comme autant de masques si lourds à porter.

Ce cyborg fabriqué de bric et de broc, de tweet et de pokes.

« You got a mail » : dommage, y a plus personne.

Je me demande si je vais leur manquer ce soir mais surtout s’ils vont me manquer.
Mon cœur anesthésié, bien au chaud sous cellophane, j’ai fini par en perdre le mode d’emploi.

Ce soir, je dors dehors.

Et tant pis si je ne passe pas la nuit.


lundi 21 janvier 2013

Jeu d'écriture N°4 : Dialogue entre contraires - Texte de Élise Vieira


Chaud et Froid : La partie de Monopoly

Chaud : Froid, quelle vigueur !

Froid : Oui, je suis en pleine forme ! Mes canons à neige tournent à plein régime en Europe. Comme tu le sais, je viens aussi d’acheter une vague de froid en Russie et les Sibériens, je leur ai mis moins 60 degrés dans les jambes, sans passer par la case réchauffement climatique. La dernière fois, ça m’a coûté une fonte des glaces au Groeland mon vieux. Et toi, t’en est où ? C’est pas ta saison on dirait …

Chaud : Pas du tout : j’ai tous les déserts, avec plus de 70 degrés dans le désert du Lut ! Là je peux te dire que je suis bien installé, avec l’Afrique, l’Océan Indien et les zones tropicales ... Ouf, j’ai sauté la case Katrina. Ces cyclones tropicaux ! C’est ma hantise … Heureusement, j’ai ma carte anticyclone des Açores. Avec ça, l’Europe n’est pas toute à toi Froid et je ne te la vendrai pour rien au monde.

Froid : Même pas pour la Floride ? Je te signale qu’elle claque des dents en ce moment … Et il me semble que tu viens d’hypothéquer l’Espagne et le Portugal vieux ... N’agrave pas ton cas !

Chaud : Okay, tu veux faire un deal ? Je te propose la Floride contre les gaz à effet de serre, comme ça, tu sauves tes glaciers et moi mes oranges.

Froid : Tu te fous de moi, il y a des oranges toute l’année. C’est même pas une région, elle est pourrie ta carte ! En plus, ça fait quinze ans que je tombe sur la case « sommet sur le réchauffement climatique » et mes mers de glace, elles, reculent chaque année ...
Je veux les gaz à effets de serre plus les précipitations contre la Floride !

Chaud : D’accord, si tu acceptes de me redonner l’Europe au prochain tour et je te laisse aussi l’Antarctique mais je garde le contrôle sur le Gulf Stream évidemment !

Froid : Deal !

. . .

Froid : Hè vieux !

Chaux : Quoi encore ?

Froid: Je viens de tirer les canicules !?

C’est comme ça qu’entre Vigueur et tempérament, Chaud et Froid ont entamé une partie de Monopoly qui dure depuis des millénaires. Ces deux-là s’opposent farouchement pour gagner du terrain, mais parviennent toujours à s’entendre pour tenter de déjouer les cartes hasardeuses que distribuent parfois  la main de l’homme.

Jeu d'écriture n° 4: dialogue entre contraires - Texte de Sophie Gourion


La tête : Hé ho, tu veux bien arrêter 2 secondes, j’arrive pas à me concentrer !

Le cœur : Arrêter de battre ? Je veux bien mais tu risques de te trouver bien ennuyé !

La tête : Très drôle.  Tu peux faire moins de bruit, réduire le rythme, te calmer un peu ou c’est trop te demander ? Je n’entends que toi, tes pulsations m’assomment. J’ai besoin de toutes mes capacités. Ce rendez-vous amoureux c’est un peu la chance de ma vie. Enfin, de SA vie. Je suis son cerveau mais sans moi il n’est pas grand-chose. Rien qu’une grande carcasse inutile, un pantin désarticulé.

Le cœur : C’est vrai que moi je ne suis qu’un accessoire. Un viscère. Un vulgaire abat sur l’étal du boucher.

La tête : Toi et ta fichue susceptibilité. Mais oui tu es important, tu pompes, tu irrigues. Il n’y a pas de sous-métier tu sais. Tu es un organe très respectable mais tu es parfois trop sanguin voilà tout. Un peu de retenue ne nuit pas.

Le cœur : Tu crois que ça ne me fatigue pas d’être si émotif ? Rien que de penser à ce RDV je m’emballe et je pompe, je pompe. J’essaye d’être efficace pour que chacun de ses membres, chacun de ses organes puisse être au maximum de ses capacités. J’ai beau tenter de garder la tête froide, rien que de penser au parfum de cette femme, à son regard enjôleur, à ses tics si attendrissants, je bats de plus belle. Tu te rends compte qu’on ne rencontre une personne comme cela qu’une fois dans sa vie ?

La tête : Du calme, rien n’est joué. Il va falloir être fin, drôle, incisif, pertinent. C’est là où j’interviens. D’ailleurs, si tu pouvais m’envoyer un peu de carburant au lieu de t’escrimer à le balancer dans des organes un peu moins nobles si tu vois ce que je veux dire… Je ne pense pas qu’ils vont conclure ce soir donc c’est un peu inutile. Laisse moi contrôler sa tête, je crois qu’il va en avoir davantage besoin.

Le cœur : Hé ho, je fais ce que je peux. Y a des trucs qu’on ne maitrise pas. Tu m’expliques, toi qui es si intelligent, à quoi ça sert qu’il ait les mains moites en ce moment par exemple? Tu ne crois pas que cette énergie pourrait être utilisée autrement ? Bon, ben c’est comme ça, y a des trucs qu’on ne contrôle pas dans la vie. D’ailleurs c’est mieux ainsi non ? Tu imagines si je battais constamment à un rythme régulier, comme un métronome : quel ennui !

La tête : Parle pour toi. Si je pouvais n’être qu’un pur esprit, non astreint à des contingences purement physiologiques, je ne m’en porterais pas si mal je crois.

Le cœur : Hé ho, tu sais ce qu’elle te dit la contingence physiologique ?

La tête : Chut, elle arrive. Tais toi et pompe.

samedi 19 janvier 2013

Jeu d'écriture n° 4: dialogue entre contraires

Saynète entre Oui et Non proposée par Hélène


(D'une façon générale, Oui parle posément d'un ton affable et Non gromelle et vers la fin, s'emporte carrément.)

OUI
Moi, je suis pour.

NON
Pas possible ! Pas moi. Pour quoi, au fait ?

OUI
Pour la proposition d'accord de collaboration entre toi et moi.

NON
Je l'avais oubliée, celle-là.

Pff, comment veux-tu que fonctionne le monde si on s'entend ?
Et qu'est-ce que je deviens, moi, dans l'histoire ? Comment je peux survivre si on collabore ?

OUI
Ah, mais collaborer ne veut pas dire être toujours d'accord d'emblée sur tout. Tu vois, moi j'ai des assistants, qui s'appellent Oui Peut-Etre, Oui Presque et Oui MaisACondition. Et si mon petit doigt me dit que toi aussi tu as des assistants, qui s'appellent Non MaisFautVoir et Non Sauf. Alors ?

NON
Et toitéki, déjà ?

OUI
Moi, je suis Oui Toutàfait.

NON
Et moi ?

OUI (soupirant, vaguement excédé)
Toi, tu es Non Pasdutout.

NON
Ah bon, tu es sûr ?

OUI (restant patient, habitué à ce petit jeu)
Comme si tu ne le savais pas.

NON
Mmm. J'aime bien me l'entendre redire.

(Oui a envie de répliquer sur le thème de la construction narcissique mais se retient.)

Et ils ne peuvent pas se débrouiller entre eux, nos assistants, et je tranche quand c'est impossible autrement ?

OUI
(En aparté) : Nous y voilà...
(Tout haut) : Mais justement, je me suis laissé dire que tes assistants ne sont pas toujours beaux joueurs et veulent toujours gagner. Donc, tu vois, il nous faut un accord-cadre.

NON
Je n'en vois pas la nécessité. Je trouve au contraire qu'ils se débrouillent très bien : le plus souvent, ils caressent tes assistants dans le sens du poil mais font en réalité ce que moi je veux. C'est-à-dire qu'ils empêchent ce que je ne veux pas.

OUI
Si c'est ce qu'ils t'ont fait croire, c'est qu'ils sont vraiment très habiles, alors. Car moi j'ai l'impression inverse : mes statistiques d'acquiescements sont tout à fait satisfaisantes et me coûtent de moins en moins cher en concessions. J'appelle ça un succès. Et de plus, je n'ai même pas l'impression de l'obtenir à ton détriment.

NON
Pas d'accord !

OUI
(En aparté) : Le contraire m'aurait étonné...
(Tout haut) :Bon, je te propose de demander son avis à un tiers, qui sera notre arbitre.

NON
Je te vois venir : pas lui ! Ce traître, ce renégat !

OUI
(A la cantonnade, sifflant légèrement entre ses doigts) : Si, viens voir par là !
(Directement à Non) : Justement, quand on parle du loup...


SI (mâchant bruyamment du chewing-gum et jonglant avec sa casquette)
Eh, salut, les gars ! Ca vous dit de jouer à ni oui ni non ?

(Le rideau retombe pendant que Oui et Non se regardent, estomaqués.)

dimanche 13 janvier 2013

Jeu d'écriture N°2 - Angles de vue - Texte de Nell Gallo


Dimanche 13 janvier 2013

L'anniversaire de Rémi



PAPA

Ah, je suis content : j'ai pu garder mon après-midi libre pour l'anniversaire du petit bonhomme. Pas de réunion du club de foot, pas de match non plus. Une chance, un miracle, même, parce que les réunions, ça dépend de moi, puisque je suis du bureau, mais les matchs, ça dépend de la Fédé, et là j'ai eu chaud : ils ont failli nous coller un match en retard de la 13ème journée de la Ligue Juniors. Déjà qu'on a perdu à l'aller…
C'est que, 4 ans, c'est important ! C'est la première année qu'il demande quand c'est son anniversaire, qu'il a compris qu'il allait avoir un an de plus. J'imagine que dans sa tête, un an, c'est comme une sorte de grande hotte dans laquelle il y a un gros gâteau, tous ses copains d'un coup, plein de papiers-cadeaux et pleins de centimètres aussi ! Et peut-être qu'aussi, il va avoir le droit de dire non !
Je lui ai acheté un garage, depuis le temps qu'il en voit un dans la vitrine du marchand, il passe devant tous les matins pour aller à l'école. J'avais peur que quelqu'un d'autre l'achète avant moi parce que c'est le clou de la vitrine. J'espère que ses copains lui offriront des petites voitures, pour qu'on puisse faire un circuit. 
On ne s'entend plus, dans la maison : le petit, debout encore plus tôt que d'habitude, demande tous les quarts d'heure quand arrivent ses copains, Fanny court en tous sens, me répond à peine, s'impatiente pour un rien. Je me demande pourquoi. C'est un beau jour, non ? La femme de ménage est passée hier, donc je ne vois pas pourquoi elle nous chasse de chaque pièce avec le tuyau de l'aspirateur. Et j'ai commandé un gâteau à la pâtisserie pour qu'elle n'ait pas à le faire. Mais elle dit qu'un, ça ne suffit pas, qu'il faut des petits à-côtés pour les parents, et des babioles que les invités ramèneront chez eux. Faut toujours que les femmes compliquent.
Bon, finalement, les copains invités sont arrivés à l'heure, à peu près tous en même temps. Moi, là, je suis allé m'installer dans notre chambre pour leur faire de la place. Je suis sorti au moment du gâteau pour aider Rémi à souffler les bougies et à défaire ses cadeaux. J'avais bien choisi, pour le gâteau ; une fois couronné de bougies, on aurait dit un château, c'était presque dommage de le couper. J'ai pris plein de photos. Il y en a une où Fanny a de la crème jusque dans les cheveux et du bolduc doré accroché aux oreilles. Elle rit aux éclats. C'est rare.



MAMAN

Aujourd'hui, nous avons fêté les 4 ans de Rémi. Ca fait deux mois qu'il m'en parle tous les jours, de ce goûter d'anniversaire. C'est la première année qu'il a pris conscience du "un an de plus" et qu'il me le rappelle chaque fois qu'il veut obtenir quelque chose. Ce matin, en se réveillant, il m'a demandé "Où ils sont, les 4 ans ?" comme s'il s'attendait à les voir alignés au pied de son lit. Il a couru se coller à la toise, sur le frigo, pour voir s'il avait grandi. Je l'ai vu retenir des larmes de déception. Je l'ai consolé en lui disant que la toise n'était pas très bien faite. 
La liste des invités a varié au gré de ses disputes et de ses nouvelles "conquêtes". Un jour il ne veut plus inviter Guillaume parce qu'il lui a pris son ballon à la récré, le lendemain il veut inviter aussi Flore parce qu'elle lui a donné un bonbon. Et il ne veut pas de la tante Alice parce qu'elle lui frotte trop fort la peau quand elle le débarbouille.
Pierre a été dans mes pieds tout le matin, me répétant sans cesse qu'il est content d'avoir pu se libérer, quêtant ainsi à sa manière mon approbation. Effectivement, depuis le temps que je lui reproche de n'être jamais là, notamment avec les enfants, je ne vais pas me plaindre maintenant qu'il a fait un sacrifice . Et puis pour m'éviter du travail, il a commandé un gâteau à la pâtisserie, évidemment une sorte de choucroute pleine de Chantilly trop sucrée, mais ça part d'une bonne intention. J'ai quand même donné un coup d'aspi, et fait un cake et un marbré pour la touche "maison", et puis parce que les gamins (et leurs parents !) aiment bien picorer de tout et laisser la moitié des parts dans les assiettes. Il a fallu que j'explique à Pierre que ce n'était pas pour critiquer sa choucroute, je veux dire son gâteau.
Tous les invités sont venus comme prévu, sans impairs. Ouf, je craignais quelques drames du genre "Je voulais pas Guillaume !" ou "Et Flore !" Quand le niveau sonore a commencé à créer des disputes, j'ai sorti les jeux de société. Uno et le Jeu de l'Oie ont eu beaucoup de succès, même s'il faut encore les aider pour les chiffres et les additions. 
Je n'ai pas vu Pierre de l'après-midi, jusqu'à l'heure de souffler les bougies et de couper le gâteau. Il a fait quand même quelques belles photos. Il y en a une où les filles ont prolongé l'atelier maquillage en me décorant de Chantilly jusque dans les cheveux et en m'accrochant des guirlandes de bolduc doré. Un vrai sapin de Noël ! Il y avait longtemps que je n'avais autant ri.



REMI

Aujourd'hui, c'était mes 4 ans. A l'école, on écrit notre journal, avec Sandrine. C'est ma maîtresse. Alors, j'ai demandé à maman de m'aider à mettre mon goûter d'anniversaire dans le journal. Y avait tous mes copains mais pas Guillaume parce qu'il m'a pris mon ballon. Y avait une seule fille, je crois. Maman a fait un gros gâteau plein de crème Chantilly mais je crois que c'est papa qui est allé le chercher au magasin, avec le garage. J'ai eu des voitures, aussi, alors on a fait un circuit et c'est moi qui ai gagné. Quand j'étais encore en pyjama, maman s'est fâchée à cause du pirateur, pourtant j'avais bien brossé mes dents.
Papa, il est pas allé jouer au foot, aujourd'hui, parce que c'est mon anniversaire. J'ai 4 ans, je suis grand, papa va m'emmener au foot. J'aime bien quand papa est au foot parce que maman me lit des histoires. 
Papa, il a dit qu'on pouvait faire plein de bruit, avec mes copains, parce que j'ai 4 ans, mais après, je l'ai pas vu, et après j'ai pleuré parce qu'il a pris le plus gros morceau de gâteau avec toute la crème, et après il a pris des photos avec maman pleine de crème et de doré, et maman elle rit sur la photo. J'aime bien, quand elle rit, maman.