lundi 25 mars 2013


Jeu n° 7 - S'imaginer une après-midi de libre à rêvasser sous un arbre, sur une chaise longue au bord de la piscine ... Définir le cadre et raconter ses songes

Texte de Nell Gallo


Dimanche 24 mars 2013


Essoufflé, Guillaume se laissa tomber dans l'herbe. Il devinait les autres courant se disperser, pressés de trouver le premier la meilleure cachette, qui derrière un gros tronc, qui derrière un buisson, qui derrière un pan de mur écroulé. Il était parti le premier comme une flèche, broyant toute la pente dans ses mollets et, maintenant rendu de l'autre côté du sommet de la colline, se savait hors de vue.

Le changement brutal de position fit tournoyer le ciel au-dessus de lui. Son coeur tambourinait après l'effort. Affalé de tout son long, les bras en croix, il ferma les yeux le temps de reprendre son souffle et en quelques secondes, put se croire seul au monde. C'est ce qu'il préférait dans ce jeu de cache-cache : se laisser oublier, oublier lui-même le jeu pour rêver devant l'immensité, pourtant tout proche de la sécurité du groupe.

Le souffle apaisé, il rouvrit les yeux, les laissa errer au-dessus de lui. Un gros chêne majestueux trônait au sommet de la colline. L'extrémité d'une de ses grosses branches basses balançait doucement son feuillage au-dessus de sa tête. Regarder les feuilles à l'envers, c'était exactement ça : perdre le sens du relief sur leur vert pâle. Elles jouaient avec les rayons du soleil, et il rentrait dans leur jeu en clignant des yeux par instants.

Plus aucun cri d'enfant, maintenant, plus aucun bruit, sinon le froissement du feuillage au gré du vent, le ciel en immense coupole bleue au-dessus de lui. Pas tout à fait bleue : des nuages moussaient paresseusement, apparemment immobiles, mais il suffisait de détourner le regard quelques secondes et l'instant d'après, ils avaient déjà changé de forme. Juste à la verticale, la Chantilly poussait devant elle l'encolure d'un cheval, qui s'allongeait bientôt en une trompe d'éléphant, puis se dissolvait en quelques houppettes de coton s'étirant vers la gauche, malaxées dans les hauteurs par un vent imperceptible d'en bas. Mais voilà que très haut sur sa droite, un gros nounours semblait étonné de n'avoir qu'une oreille, d'ailleurs déjà avalée par quelque autre peluche du voisinage.

Oh, un hippogriffe ! Enfin, la moitié d'un, l'autre se perd dans les rondeurs blanches, de plus en plus grises vers le centre. Mais Guillaume ne voit pas les signes avant-coureurs de la pluie car il a déjà une jambe bien calée derrière l'aile de l'oiseau, les bras agrippés à l'encolure informe, les yeux fermés. Oui, il se voit d'en bas les yeux fermés tout là-haut, chevauchant dans la nuée, preux chevalier parti à l'aventure sauver la princesse, prisonnière très loin d'un maléfice. Plus tard, il sera explorateur, il découvrira un animal magique dont tout le monde croit qu'il n'existe que dans les contes. Il le domptera et il lui apprendra à l'emmener dans les endroits secrets inaccessibles connus de lui seul, et il sera le premier à ramener de nouvelles espèces de fleurs, d'arbres et d'animaux. Tiens, un grand ver tout mou pas beau à sept pattes, quatre d'un côté et trois de l'autre, avec un seul tentacule à gauche de la tête pour attraper ses proies. Et puis un oiseau au plumage coloré, au regard intelligent et langoureux, une sorte de phénix mais au chant grinçant comme celui d'un butor. Et sa femelle serait toute terne mais avec un chant très mélodieux. Et le Museum d'Histoire Naturelle le récompenserait d'avoir compris que c'est la même espèce. Et pour que la princesse se réveille du maléfice, il faut que la poule mélodieuse lui apporte une plume du mâle enroué. Et…

- Guillaume ! Guiiiillauauaume !

L'hippogriffe se dissout et Guillaume tombe dans un trou, comme aspiré à travers les nuages tout mouillés. Mais c'est frissonnant dans sa chemise humide qu'il reprend brusquement conscience de la terre solide dans son dos, des feuilles vert pâle froissant au-dessus de lui un message compris d'elles seules.
Les copains le cherchent. Il entend des exclamations essoufflées, voit surgir une tignasse, puis deux, juchées sur deux paires de jambes qui escaladent la colline sur ses traces, le trouvent enfin.

- Eh, Guillaume, on t'a cherché partout ! Tu viens ? On rentre , il pleut.

Ah oui, c'est vrai. Sans répondre, la tête encore tourneboulée, Guillaume se lève comme à contrecoeur, puis histoire de donner le change :

- Le premier en bas !

Et tous trois dévalent la colline pour rejoindre le groupe. L'un d'eux a voyagé plus loin...